ஜ Au beau milieu d'un petit étalage du marché de Rome...

Les deux mains posées sur son ventre déjà bien arrondi, Flavia tentait de rester la plus discrète possible: une tâche bien complexe pour une jeune femme en plein travail ! Mais en dépit de la douleur fulgurante qui semblait lui broyer les entrailles, la pauvre femme fit preuve d'un courage sans égal et accoucha, seule, de son premier enfant en quelques heures à peine.
Éreintée, elle chassa d'un revers de main les larmes qui lui brouillaient la vue et saisit sa progéniture d'une main fébrile. En voyant la poitrine du bébé se soulever lentement, la jeune femme soupira. Flavia n'avait jamais été très pieuse et elle voyait en cette enfant une sorte de punition divine; si l'enfer existait bel et bien, il devait ressembler à s'y méprendre à la vie d'une mère ! Elle pour qui rester en vie était déjà un combat de chaque instant ne voyait pas comment s'en sortir avec un enfant sur les bras: cette petite allait signer son arrêt de mort. Alors, sans aucune pitié, Flavia posa sa fille derrière un cageot en piteux état et pria en silence pour que personne ne l’aperçoive. Mais quelques secondes plus tard, le corps de la jeune mère se figea d'effroi: son bébé avait choisi de vivre et venait de pousser son premier hurlement.


ஜ Cher Journal...

Aujourd'hui, j'ai enfin appris la vérité au sujet de ma naissance. Le sénateur Pompalius, le directeur de l'orphelinat, m'a jugée suffisamment mature mais je crains qu'il ne se soit fourvoyé. En effet, j'ai beau avoir fêté mes 16 ans hier soir, j'ignore si j'arriverai à vivre avec ce que je sais. Te rends-tu compte ? Ma mère, ma propre mère ! a été pendue pour avoir tenté de me tuer quelques secondes à peine après m'avoir mise au monde ! Heureusement, j'ai échappé de peu au trépas et l'orphelinat de Vesta m'a finalement recueillie. Cependant, l'acte de ma génitrice n'en reste pas moins ignoble; qu'avais-je donc fait pour mériter un tel sort ? Quoi qu'il en soit, je prie les Dieux de ne jamais avoir d'enfant ! Mais qu'importe, je ne veux plus y penser.
À propos, cher Journal, il faut que je te raconte quelque chose de la plus haute importance: depuis quelque temps, j'ai la fâcheuse impression d'être constamment observée. De plus, le comportement des garçons à mon égard a considérablement changé au cours des derniers mois; ils me suivent sans arrêt et j'ai grand-peine à me débarrasser d'eux. J'ai d'ailleurs surpris Titus, ce matin même, en train de prier devant la statue de Vénus. J'ai réussi à me faufiler discrètement vers la sortie du temple sans qu'il ne m'aperçoive mais ses vœux me concernaient et à moins que mes oreilles ne me jouent des tours, il a, je crois, supplié la déesse de lui accorder mon amour ! Ô Vénus, si vous m'entendez, faites que cela n'arrive jamais !
Décidément, ma vie devient bien compliquée... mais j'entends des pas, je dois y aller. De toute façon, il se fait tard; avec un peu de chance, la nuit me portera conseil.


ஜ Dix ans plus tard...

Cher Journal, voilà bientôt dix ans que j'exerce ce métier et je ne m'en lasse pas; surtout depuis que j'ai quitté le bordel de Julia: malgré mes longues années de bons et loyaux services, cette vieille mégère a tenté de m’escroquer ! Je me demande comment elle fait pour payer ses filles... désormais, c'est moi la plus demandée de Rome et je n'en suis pas peu fière ! Comme tu le sais, je suis finalement parvenue à me hisser dans les hautes sphères de la société et ma liste de clients ne cesse de s'accroître. J'ai même reçu, pas plus tard qu'hier, la visite de Tobias, l'adorable petit frère de l'Empereur. Enfin, aussi adorable qu'un vampire vieux de 700 ans puissent l'être. Cependant, je dois dire que sa compagnie n'est pas désagréable et sa présence dans mon lit fait de lui un informateur potentiel, ce qui est loin d'être négligeable étant donné sa position. Bien sûr, la situation risquerait de devenir dangereuse mais je le savais pertinemment en commençant mes activités: après tout, on ne se joue pas de Rome sans prendre quelques risques !