Le soleil brillait haut, bien haut dans le ciel. Niobé ne savait pas trop quoi faire pour occuper ses dix petits doigts. C'était bien ça le problème. Elle s'ennuyait un peu trop souvent. La faute à pas de chance. Elle avait tout vu dans sa vie, elle avait tout fait, ou presque. Dans moins de deux décennies, elle aurait sept siècles. Ce qui n'était pas rien non plus. Bon nombre d'humains seraient morts depuis... depuis fort longtemps, surtout qu'à cette époque là, la moyenne de vie n'allait pas au delà de soixante ans. C'était rare, bien rare, d'atteindre plus. Enfin, surtout pour les hommes, puisqu'ils participaient aux guerres. En quelque sorte, c'était comme si elle avait vécu la vie de douze personnes. Comme si chacune de ses personnes s'était réincarnée, sans pour autant avoir des souvenirs de sa vie d'antan. Sauf que Niobé se rappelait de tout.

Niobé aurait pu rester dans sa chambre, ou bien passer du temps dans la bibliothèque. Ou encore se prélasser dans un bon bain bien chaud et ne rien faire d'autre de sa journée. Sauf qu'elle s'était décidée à sortir. Ou plutôt, à espionner. Depuis quelques temps, sa chère petite soeur, Octavia, lui cachait des choses. Du moins, la vampire avait l'impression qu'elle lui cachait des choses. Quoi ? Elle ne savait pas quoi. Elles qui avaient été si proches par le passé. Elles qui se disaient tout. Pourtant, y'avait comme un malaise. Et Niobé voulait savoir ce qui n'allait pas. Elle en aurait le coeur net. Certes, ce n'était pas bien que de la suivre et de l'espionner. Mais au moins, elle saurait ce qu'il en retournait réellement.

Ainsi donc, la voilà passant une espèce de longue cape de couleur sombre, avec une capuche. Elle s'était faufilée à l'extérieur de sa chambre. Une chance pour elle puisque Octavia avait choisi ce moment là précis pour sortir du palais. Il faudrait la jouer finement, faire tout ce qui était en son pouvoir pour éviter qu'elle ne se fasse remarquer. Mais Niobé se doutait que ça ne serait pas facile. Pourquoi ? Toutes deux étaient des vampires, des êtres surnaturels. Et de par ce fait, elles avaient une ouïe plus que développée. Donc, faire de la filature, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus simple. Suivre un humain, un simple humain, ça aurait été facile, et on ne l'aurait sûrement pas remarqué. Mais suivre un vampire, une de ses soeurs, ce n'était pas pareil.

Et ce fut bien pour cela qu'au bout de quelques ruelles, Octavia réussit à piéger sa soeur. Elle l'avait empoignée et plaquée contre un mur. La capuche était tombée, et la jeune soeur faisait une tête agréablement surprise. La question tomba presque aussitôt.

"Parce que tu me caches des choses petite soeur. Je croyais que nous devions tout nous dire. Or, ces derniers temps, je te sens distante avec moi. Que me caches-tu Octavia ? Ne me fais-tu plus confiance ?"

Droit dans les yeux, Niobé fixait Octavia. Elle voulait savoir ce qui n'allait pas chez elle, pourquoi elle semblait distante. Elle voulait l'aider, seulement, il fallait qu'elle sache de quoi il en retourne. Voilà pourquoi elle avait, probablement, mis l'accent sur la confiance. Parce qu'elle savait que si elle l'entraînait sur ce chemin, Octavia finirait par se confier. Non, Niobé ne se voulait pas manipulatrice avec sa soeur. Elle voulait tout simplement ... Elle voulait l'aider, tout simplement. Probablement qu'Octavia avait été quelque peu blessée par cette histoire de confiance, mais c'était, tout simplement, la seule solution.

"M'embêter avec tes histoires ?" répéta-t-elle plus pour elle-même que pour sa soeur. "Tu sais très bien que tu ne m'embêtes jamais Octavia."

Celle-ci avait fini par se reculer un peu. Elle était triste. Elle avait envie de garder pour elle ce qu'elle savait. Peut-être voulait-elle résoudre cette affaire toute seule. Mais pourquoi faire ? Pourquoi ? C'est parfois plus simple d'être aidé. De cette manière, on sait, à peu près, où l'on va. Mais la question était de savoir si Octavia accepterait son aide, ou pas du tout.

Finalement, celle-ci finit par lui dire, sans rentrer dans les détails, ce qui la chagrinait depuis quelques temps. Apparemment, elle avait vu comme un fantôme. Une personne qui ressemblait à une autre et qui pourtant, ne la reconnaissait pas. Octavia était comme perdue. Elle ne savait plus quoi faire, elle ne savait plus comment réagir. Niobé avait fait un pas vers l'avant et avait posé une main sur l'épaule de sa soeur, comme pour se montrer compatissante. Ou bien tenter de la réconforter.

"Tu sais, des choses bizarres peuvent se produire. Ne sommes-nous pas, nous même, des bizarreries aux yeux du monde ? Toute chose à une explication Octavia. Et si tu m'en parlais plus en détails pour que nous puissions, toutes les deux, résoudre ce problème. Ou du moins, le comprendre ?"

Est-ce que Niobé se sentait blessée par sa petite soeur parce que celle-ci n'avait pas souhaité, dès le départ, lui parler de toute cette histoire ? Non, bien évidemment que non. Parce qu'elle comprenait. Elle savait que parfois, la vérité était bien plus dure à entendre, à comprendre, qu'à dire. Niobé elle-même n'avait jamais eu le courage de dire ce qui s'était passé suite à sa transformation, mis à part à Octavia, et Tobias qui était passé par là à ce moment là. Mais les autres n'étaient pas au courant. Et elle n'avait pas l'intention de le leur dire d'ailleurs. Ca resterait son grand secret, tout simplement, et personne d'autre n'avait besoin de le savoir. Point barre. Elle était peut-être butée mais pour ainsi dire, elle emporterait son secret dans sa tombe. Du moins, si jamais elle en venait à mourir. Mais ça serait très certainement pas pour demain la veille.

Quoi qu'il en soit, Niobé devait convaincre Octavia de lui parler, de lui dire ce qu'elle avait sur le coeur, et tant pis si c'était difficile à comprendre. Ce n'était pas pour autant qu'elle lui fermerait la porte au nez et qu'elle la laisserait se débrouiller toute seule. Non, ce n'était pas son genre du tout. Elle l'aiderait, si elle le pouvait, et elle trouverait ce qui était en train de se passer. Ca pourrait prendre des semaines, ce n'était pas grave. Du moment où elles trouvaient ce qui n'allait pas.

"Père était buté. Il s'est toujours cantonné à ce qu'il pouvait comprendre et n'a jamais cherché à en savoir plus sur le monde et toutes les choses étranges qui peuvent s'y trouver."

En quelque sorte, c'était pas plus mal qu'il soit mort. Vivre une éternité à ses côtés, alors que tous ses enfants ne le portaient pas vraiment dans son coeur, ça aurait été très difficile. Et puis, il aurait toujours eu son mot à dire. Ouais, ça aurait été pénible, pour sûr. Quoi qu'il en soit, petit à petit, Niobé commençait à comprendre ce que Octavia venait à lui dire. Mais cela fut encore plus flagrant quand elle en vint à dire que s'attacher à un humaine, ce n'était pas super.

"Nous ne pouvons pas nous s'empêcher de s'attacher aux gens Octavia. Nous sommes comme ça. Mais cet homme ... que tu as vu ... Ressemble-t-il trait pour trait à lui ? N'y a-t-il aucune différence entre eux ? As-tu cherché à lui parler pour être certaine qu'il ne te connaissait pas ?"

La thèse de la résurrection était plus qu'improbable mais il fallait, tout de même, la vérifier.

Octavia semblait complètement perdue. Pauvre d'elle. Niobé n'osait même pas imaginer ce qu'elle était en train de ressentir, là, tout de suite. Certes, elle avait perdu un homme, elle aussi, qu'elle avait aimé de tout son coeur. Et pire encore puisque cette transformation en vampire avait fait que la jeune femme, tout juste devenue un suceur de sang, avait perdu une vie. Une petite vie qu'elle voulait chérir en l'honneur de son bien aimé. Une petite vie qui lui aurait permis de remonter la pente, de voir la vie du bon côté, de faire comme si son amant était toujours à ses côtés. Mais la vie est garce parfois et qui sait ce qu'elle nous réserve. Des choses bien. Ou pas du tout.

Niobé écoutait attentivement sa petite soeur. Elle lui avait posé tout un tas de questions auxquelles Octavia devait répondre, enfin, si elle le voulait bien, histoire que Niobé en sache un peu plus sur cette histoire. Elle avait besoin de quelques précisions. De cette manière, ça lui permettrait d'avoir une vue d'ensemble sur ce qui se passait. Et en même temps, ça lui permettait, quelque peu, que de trouver une solution. Ou du moins, un semblant de solution.

Sa rencontre avec cet homme avait, quelque peu, déboussolé Octavia. Parce qu'il lui ressemblait trait pour trait. Parce qu'il portait aussi la bague que Niobé et elle avaient fabriqué pour Damen, histoire qu'il soit protégé du surnaturel. Et pourtant, malgré tout cela, il n'avait pas reconnu Octavia. Il ne savait pas qui elle était, le rang qu'elle pouvait avoir. Comme s'il ne l'avait jamais vu en quelque sorte, ce qui était le cas d'ailleurs. Niobé s'était grattée l'arrière du crâne. Cette histoire n'était pas simple, pour sûr.

"Tu n'es pas folle Octavia. Je suis certaine qu'il y a une raison à tout cela. Mais le plus dur, c'est de la trouver."

Pour sûr. Niobé allait se donner les moyens de trouver ce qui n'allait pas. Enfin, ce qui clochait et pourquoi cet homme ne reconnaissait pas Octavia. Ou du moins, qui il était réellement. Elle allait l'aider, point final.

"Cet homme, où l'as-tu vu précisément ? Parce que nous pourrions aller le voir ensemble afin de démêler cette histoire. Qu'en penses-tu petite soeur ?"

Si Octavia ne voulait pas qu'elle vienne, Niobé respecterait son choix, même si la pilule serait dure à avaler.

Niobé se posait tout un tas de questions sur ce que Octavia venait de lui dire. Elle cherchait à démêler cette histoire, et surtout, elle voulait savoir qui était l'homme qu'elle avait croisé. Elle était intriguée, certes, et elle aiderait sa petite soeur, d'une manière, ou d'une autre. Ca ne serait pas facile, Niobé en était certaine, mais pour le propre bien de sa cadette, elle l'aiderait.

Croisant le regard de son aînée, Octavia avait fini par se redresser et lui expliqua où elle avait croisé l'homme. Bien, Niobé irait jeter un coup d'oeil. Seule ? Ou en compagnie d'Octavia ? Difficile de dire puisque cette dernière ne semblait pas vouloir y retourner. Sûrement qu'elle avait peur ... Qu'elle avait peur de recroiser son regard et de n'y voir que de l'indifférence. Peur que celui qu'ele avait vu ne la reconnaisse pas, une nouvelle fois.

"Peut-être qu'il est nouveau en ville. Peut-être qu'il n'a pas encore eu vent de qui nous étions. Enfin, je ne sais pas trop. Il y a forcément une explication. Mais laquelle ?"

Octavia en vint à lui poser une autre question. Elle voulait savoir ce que Niobé ferait si elle était à sa place. Celle-ci pencha la tête sur le côté durant une fraction de seconde et resta pensive durant quelques instants. Qu'aurait-elle fait à sa place ? Que ferait-elle ? Elle ne savait pas trop. A dire vrai, elle n'y avait pas réfléchi.

"Je crois ... Je crois que ma curiosité prendrait le dessus. Oui, je suis certaine que j'essayerai, d'une manière, ou d'une autre, d'élucider ce mystère. Je ne pense pas que j'arriverai à faire comme si rien ne s'était passé ... Et je pense que oui, que je chercherai à savoir."

Oui, sans aucun doute qu'elle aurait mené sa propre enquête, quitte à tomber sur des trucs louches. Mais en son âme et conscience, Niobé ne pourrait pas faire comme si cet homme n'existait pas.